Voyage au bout de la nuit by Louis-Ferdinand Céline

Voyage au bout de la nuit by Louis-Ferdinand Céline

Auteur:Louis-Ferdinand Céline [Céline, Louis-Ferdinand]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-12-28T19:32:06+00:00


Dans l’édicule, à hauteur des jambes, je trouvai justement Bébert. Il était entré là-dedans pour s’abriter lui aussi. Il m’avait vu courir en sortant de chez les Henrouille. « Vous venez de chez eux ? qu’il m’a demandé. Faudra à présent monter chez les gens du cinquième de la maison de chez nous, pour leur fille… » Cette cliente-là, qu’il m’indiquait, je la connaissais bien, avec son bassin large… Ses belles cuisses longues et veloutées… Son quelque chose de tendrement volontaire et de précisément gracieux dans les mouvements qui complète les femmes bien balancées sexuellement. Elle était venue me consulter à plusieurs reprises depuis que son mal de ventre la tenait. À vingt-cinq ans, à son troisième avortement, elle souffrait de complications, et sa famille appelait ça de l’anémie.

Fallait voir comme elle était solide et bâtie, avec du goût pour les coïts comme peu de femelles en ont. Discrète dans la vie, raisonnable d’allure et d’expression. Rien d’hystérique. Mais bien douée, bien nourrie, bien équilibrée, une vraie championne dans son genre, voilà tout. Une belle athlète pour le plaisir. Pas de mal à ça. Rien que des hommes mariés elle fréquentait. Et seulement des connaisseurs, des hommes qui savent reconnaître et apprécier les belles réussites naturelles et qui ne prennent pas une petite vicieuse quelconque pour une bonne affaire. Non, sa peau mate, son gentil sourire, sa démarche et l’ampleur noblement mobile de ses hanches lui valaient des enthousiasmes profonds, mérités, de la part de certains chefs de bureau qui connaissaient leur sujet.

Seulement bien sûr, ils ne pouvaient tout de même pas divorcer pour ça, les chefs de bureau. Au contraire, c’était une raison pour demeurer heureux en ménage. Alors chaque fois au troisième mois qu’elle était enceinte, ça ne manquait pas, elle allait trouver la sage-femme. Quand on a du tempérament et qu’on n’a pas un cocu sous la main, on ne rigole pas tous les jours.

Sa mère m’entrouvrit la porte du palier avec des précautions d’assassinat. Elle chuchotait la mère, mais si fortement, si intensément, que c’était pire que des imprécations.

« Qu’ai-je pu faire au ciel, Docteur, pour avoir une fille pareille ! Ah, vous n’en direz du moins rien à personne dans notre quartier, Docteur !… Je compte sur vous ! » Elle n’en finissait pas d’agiter ses frayeurs et de se gargariser avec de ce que pourraient en penser les voisins et les voisines. En transe de bêtise inquiète qu’elle était. Ça dure longtemps ces états-là.

Elle me laissait m’habituer à la pénombre du couloir, à l’odeur des poireaux pour la soupe, aux papiers des murs, à leurs ramages sots, à sa voix d’étranglée. Enfin, de bafouillages en exclamations, nous parvînmes auprès du lit de la fille, prostrée, la malade, à la dérive. Je voulus l’examiner, mais elle perdait tellement de sang, c’était une telle bouillie qu’on ne pouvait rien voir de son vagin. Des caillots. Ça faisait « glouglou » entre ses jambes comme dans le cou coupé du colonel à la guerre. Je remis le gros coton et remontai sa couverture simplement.



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